Alors on ferme les yeux un instant...

Hier, 19h je suis devant le palais de Chaillot,
cherchant mon élève des yeux.

Elle arrive tranquillou à 19h20 alors que j'étais morte d'inquiétude,
prête à rentrer dans la salle sans l'attendre.
Elle s'approche tout près de moi pour me dire bonjour, elle sent l'alcool.
un dernier coup d'oeil aux personnes qui attendent dehors
que l'on veuille bien leur vendre une place...

J'entends la fin d'une négociation "80 euros madame...
je ne descendrai pas en dessous..."
Et on entre.
La salle bondée, on se rend compte que nous ne serons
pas à côté pendant le spectacle. Je souffle intérieurement, soulagée.
Ravie d'éviter son haleine avinée me chuchotant sans relâche ses commentaires.

Le rideau frémit, on sent l'agitation derrière le tissu.

Il s'ouvre.

Et là...
La féérie.
L'émerveillement.
Le beauté somptueuse, pure, le geste précis.
La féminité précieuse de l'onnagata (le personnage féminin, joué par un homme).
La voix puissante d'Ebizô qui fait frémir la salle.

Première pièce : Toribe yama shinjû
(double suicide au mont toribe)
L'onnagata fascine par ses gestes précieux et élégants.
Les tissus bruissent doucement.

Puis Ebizo rentre en scène.

- Applaudissements -
Je suis encore ébahie par sa présence, son charisme, son aura.
En le regardant je me disais que sans doute jamais je ne reverrai ça.
L'acteur le plus doué de l'histoire du Kabuki.
Qui va surpasser son grand père, et son père.
J'observais ses mains, ses yeux posés. La précision de son regard,
la désinvolture apparente du samourai qui boit puis s'endort, saoul...
Ce qui m'a le plus marquée, c'est une scène précise
du deuxième tableau dans le "double suicide au mont Toribe".

Cette scène où Hankuro - avant de mourir -
va à la rivière chercher de l'eau pour Osome.

On voit l'eau, on la voit tomber de ses doigts, lorqu'elle lui échappe...
Ensuite, il arrache un pan de son kimono pour le tremper dans l'eau,
puis porte délicatement le tissu à la bouche d'Osome.

Pourtant sur scène, la rivière n'existe pas plus que la lune qui luit
sur ce ciel de nuit au fond de la salle.

Ce n'est pas du théatre, pas du mime non plus c'est encore autre chose.
Il vit ce qu'il joue, il regarde chaque goutte s'échapper de ses doigts blancs.
Et nous aussi...

Ensuite vint la cérémonie de succession au nom prestigieux de Ebizô.
Les hommages pour le nouvel Ebizo
(dont quelques phrases en français, qui ont conquis le public)
Et vint le narami, le regard intense qui impressione par sa force.

Puis le fameux Kagami jishi (voir photos) où les deux personnages sont joués par le meme acteur, tout d'abord une gracieuse jeune femme, puis un lion viril.

A la fin du spectacle, (outre le fait qu'elle voulait partir au premier entracte, l'idiote), je me rendis compte que mon élève n'avait pas remarqué l'intéret artistique principal de cette pièce...
A savoir que Ebizo a joué le rôlé féminin, puis le role du lion viril et belliqueux.
Je lui expliquerai la prochaine fois.
Je n'avais pas envie de déconcentrer mon esprit de cette beauté
que je venais de voir.
En rentrant chez moi je cherchais un adjectif pour qualifier ce que je venais de voir...et je ne l'ai jamais trouvé.

Re:

Re:

Re: Re:

Re: