"T. avait rouvert une petite boîte de carton rose, caché sous une pile de livres, amassés là on ne sait trop pourquoi. En ouvrant cette boîte, son cœur se gonfla, elle avait gardé là toutes les lettres, les objets que ses « anciens » amours lui avaient laissé, ils n’imaginaient probablement pas qu’elle les conserverait aussi longtemps.

Il y avait là des lettres d’amour, des lettres de ruptures, une rose séchée, une carte postale représentant un feu d’artifice…Elle savait exactement de qui provenait chacun de ces objets…Il y avait même un taille crayon en forme de boite de fromage…Quel amas intrigant pour qui ne sait pas la valeur de chacun de ces objets ! T. se disait ce soir la que le soir de sa mort, ses enfants qui découvriraient cette boite la mettraient certainement à la poubelle sans savoir…

T. ouvrit la première lettre qui se trouvait sur le dessus de la boîte, et relut ces mots qu’elle avait lus tant de fois en pleurant... elle se souvint alors de Mr Coquillage, ce jeune japonais avec lequel elle passa des jours entiers, elle se souvint de l’envie folle qu’elle avait de le voir chaque jour . Puis son sourire lui revint à la mémoire, ce sourire si doux qu’ont les gens qui aiment, ce sourire des yeux autant que des lèvres. Elle avait été amoureuse de ce sourire

Le soleil était déjà couché, T. repensa à sa vie à moitié parcourue... ses réussites, ses erreurs, ses regrets, ses remords...Il est d’ailleurs étrange que ce simple souvenir d’un amour fugace lui fit revenir à l’esprit tant de choses enfouies...Fugace...le mot est correct. Il est d’ailleurs encore plus étrange qu’une si brève rencontre ait eu une si grande importance dans la vie de T.. Elle retenait de cette histoire le sentiment d’un gâchis incommensurable, car elle avait perdu un ami en voulant retenir l’amour qui s’était éveillé en lui. C’est l’une des rares choses dont elle fit part à son journal, parlant d’une « exquise déchirure » qui scindait son cœur. Ce jeune homme de vingt ans alors, en la perdant, se perdit aussi. Elle en fut douloureusement flattée.

Elle l’avait croisé un jour dans la rue, hagard, les yeux baissés. Il venait de perdre T., mais aussi celle qui l’attendait au loin, celle-là même dont l ‘existence avait interdit à T. d’aimer Mr Coquillage. En ce soir de printemps, T. se demandait confusément pourquoi elle repensait à cela, car il devait bien y avoir une raison, puis abandonna ces considérations inquiètes et essaya d’imaginer ce que Mr Coquillage pouvait bien être devenu. Elle se souvint de son voyage, l’été suivant, au Japon, quand elle passa quelques jours à N., la charmante ville des daims dans laquelle habitait Mr Coquillage. Elle se souvint de l’émotion avec la quelle elle entra dans la ville, sa fébrilité en pensant à l’éventualité de le croiser au détour d’une ruelle. Cette ville l’avait apaisée pourtant, la verdure des jardins et le calme ambiant avait rendu son esprit plus serein.

D’une façon un peu étrange, elle se plaisait à évoquer en elle-même certains de ses souvenirs, en sachant bien qu’ils provoqueraient, dès leur évocation, la même brûlure que lorsqu’elle avait seize ans, mais elle ne fuyait pas cette brûlure, au contraire elle semblait la rechercher."

Extrait d'un roman inachevé